Vendredi
4 Avril : En route vers l'inconnu
Arrivé
à l'aéroport Paris Charles De Gaules vers 6h30, je repère
facilement le groupe pour le Marathon des Sables : les futurs concurrents sont
tendus et un peu anxieux. Je m'approche et questionne : " C'est bien ici
le rendez-vous pour le club Med ? ! " Quelques sourires m'ont tout de suite
confirmé que nous étions tous sur la même longueur d'onde
; l'épreuve va être difficile, irons-nous jusqu'au bout ?
Vers
7h, les membres de l'organisation, vêtus de gilet reporter 18 ème
Marathon des Sables distribuent le road book ; ce livret détaille toutes
les 6 étapes (longueur, relief, terrain, cap à suivre
) Patrick
Bauer, le directeur de course l'avait annoncé quelques jours auparavant
: pour cette édition du MDS, le parcours sera difficile. Je le confirme
en ouvrant le road book. Voici la longueur des 6 étapes : 25, 34, 38, 82,
42, 22 ! Soit 243 Km à parcourir dans le Sahara marocain en autonomie alimentaire
et matérielle.
L'étape
de 82 km ne nous laisse pas indifférents. "82 bornes, c'est de la
folie !"
"C'est rien, c'est l'étape marathon le surlendemain
qui fera de la casse...", réplique un concurrent de l'année
dernière.
On
discute, on rigole, on compare nos entraînements pour se rassurer, on sympathise.
Avec mes 90 Km hebdomadaires durant l'entraînement, j'ai l'air un peu ridicule.
Certains coureurs parlent de 150 à 200 Km par semaine ! Suis-je correctement
entraîné ? N'ai-je pas sous-estimé cette épreuve ?
Et mon genou qui me fait mal depuis deux semaines, va-t-il tenir ? Et si j'abandonne
dès la première étape ? Il ne faudrait pas décevoir
tous ces gens qui me soutiennent ainsi que Bouygues Telecom qui a misé
sur moi... Toutes ces phrases qui se répètent...Vraiment, il est
temps de prendre le départ.
Je
passe un dernier coup de téléphone à Cathy pour lui décrire
les étapes mais surtout pour prendre encore un peu de courage. L'avion,
un Boeing, décolle vers 10h30. Nous survolons Bordeaux, les Pyrénées,
la Tunisie. Après un vol agréable de 3 heures en compagnie de Fred
(dossard 46) et Laurent (dossard 216), nous atterrissons à Ouarzazate.
La température est de 27 °C. A la sortie de l'aérogare, Patrick
Bauer accueille les concurrents un à un. Il me sert la main : " Bonjour,
bienvenue au Marathon des Sables ". Quelle joie de pouvoir enfin rencontrer
Patrick ; depuis si longtemps que je lis et relis ses articles et ses témoignages
sur les éditions précédentes ! Maintenant, je fais partie
de l'aventure mais je ne le réalise pas encore.
Nous
montons dans un car pour un transfert de 350 Km au sud-est de Ouarzazate (Erfoud).
Nous traversons alors différents villages, séparés par de
grands plateaux désertiques. Au cours du trajet, le paysage devient de
plus en plus désertique et aride. Pas de doute, on va vraiment en plein
désert ! Notre trajet est interrompu par un barrage formé par les
habitants d'un village qui s'exclament " Non à la guerre en Irak ".
Le Marathon des Sables est un événement sportif majeur au Maroc.
Ainsi la population profite de la présence des médias pour afficher
ses idées. Après une intervention en douceur de la police et de
l'armée qui nous escortent, nous quittons ce village. Après 6 heures
de transport nous arrivons au rendez-vous pour le transfert en camion bétaillère
! 4 Km dans la poussière et dans le vent et nous arrivons au bivouac. Il
est 18h30, la nuit tombe, le froid aussi.
Je
retrouve Fred et nous choisissons de nous installer à la tente 29 où
déjà 4 gars sont présents. Peu de temps après arrivent
deux autres coureurs. La tente est maintenant au complet, 8 personnes : deux frères,
Olivier (131) et Stéphane (80), l'équipe "OASIS pour la sclérose
en plaques" composée de Joël (72), Bruno (73), Rémy (74)
et Claude (75), puis pour terminer, Fred (46) et moi (171). A part les deux frères
et moi, tous sont bretons, d'où le numéro de tente choisi, tente
29, département du Finistère ! Ca promet !
Le
repas du soir nous est servi à la cantine du bivouac. On se couche vers
9h. Je profite de mon tapis de sol pour cette nuit (nous avons encore tous nos
bagages). La nuit est un peu froide et je ne regrette pas d'avoir choisi un duvet
chaud (température minimum de confort : 2° C).
Samedi 5 Avril : Contrôles
médicaux, contrôle du matériel, acclimatation
Après
avoir admiré un magnifique lever de soleil, j'émerge du duvet vers
7 heures. Il fait un peu froid le matin, mais rapidement la température
devient insupportable. Nous prenons notre petit déjeuner à la cantine
du bivouac. Je lis au panneau d'affichage principal que je suis convoqué
à 11 heures pour le contrôle du sac.
Je
prépare donc le sac à dos de course pour la dernière fois
: un seul ennemi, le poids. Je supprime quelques vêtements jugés
inutiles, je supprime un peu de nourriture prévue en surplus. Il ne s'agit
de ne rien oublier, cela pourrait être fatal. Je vais vivre toute la durée
de l'épreuve seulement avec le contenu de ce sac comme matériel
et comme nourriture. Arrivé à la tente de contrôle, je rends
mon sac de voyage (je le retrouverai après la course, samedi prochain.
Un commissaire de course contrôle le matériel obligatoire ainsi que
les calories. Tout est ok. Poids total de mon sac : 9.5 Kg. C'est difficile de
faire moins, la plupart des coureurs annoncent entre 8 et 10 kg. Je me dirige
ensuite vers les médecins. Ils vérifient mon électrocardiogramme
et me questionnent sur mon entraînement, ma préparation globale et
ma préparation des pieds. Ils me mettent en garde sur les conditions climatiques
extrêmes de cette course. Attention aux fortes chaleurs attendues et à
la déshydratation. Prudence ! Ne pas oublier de prendre régulièrement
des pastilles de sel. Un médecin remarque mon anxiété : "T'inquiète
pas, tu t'es bien entraîné, alors tout ira bien. Mais il faut savoir
gérer l'effort dès les premières étapes." Je
prends ma fusée de détresse, fournie par l'organisation et quitte
la tente des contrôles avec seulement mon sac de course pour toute la semaine.
Le
repas de midi est à la cantine du bivouac. Je n'ai pas trop faim : la chaleur
et le stress de la course me coupent l'appétit. Après, c'est une
bonne sieste à l'ombre ! Certains en profitent pour faire un petit footing
de décrassage. Mais, je suis inquiet car j'ai de plus en plus mal au genou
droit.
Vers
17 heures, Patrick Bauer réunit tous les concurrents pour la présentation
de cette 18 ème édition du Marathon des Sables. 677 concurrents,
69 femmes, 33 nationalités (c'est important de le souligner en cette période
de guerre internationale). De nombreux journalistes, des télévisions
internationales sont au cur de la caravane pour suivre l'événement.
Pour cette édition Patrick Bauer insiste sur le message de paix qui sera
véhiculé ; les coureurs pourront accrocher sur leur sac une colombe
sur un drapeau bleu. Mon drapeau me suivra du début jusqu'à la fin.
Patrick rappelle les consignes de sécurité sur le bivouac et sur
la course. Il insiste également sur le côté écologique
de la caravane.
J'envoie
ensuite mon premier mail (qui n'arrivera jamais, à cause d'un incident
technique). J'y exprime ma grande motivation, mon émerveillement devant
le paysage désertique ainsi que l'impressionnante organisation. J'explique
également une des raisons de ce défi : 1 an de préparation,
environ 700 candidats, une épreuve difficile où tous ne réussiront
pas, c'est une belle revanche sur un échec que j'ai vécu il y a
quatre ans (dans un tout autre domaine)...
Le
souper à la cantine du bivouac est servi vers 19 heures. On essaie d'emmagasiner
un maximum de calories car c'est le dernier repas avant de début de l'autonomie
alimentaire. Après je me nourrirai pendant 7 jours uniquement avec ce que
je transporte dans mon sac à dos. Une petite bière pour décompresser
et au lit ! Demain c'est le départ du marathon des sables...
Dimanche 6 Avril : Le départ
du 18 ème Marathon des Sables
Je me réveille vers 5h30, il
fait déjà jour. Je reste bien au chaud dans mon duvet en attendant
que les gars de la tente se réveillent. Déjà les équipes
de la logistique démontent les tentes berbères ! On se dépêche
alors de ranger le duvet et de quitter la tente. Il fait très frais. Nous
déjeunons ; c'est le premier repas en autosuffisance alimentaire. Le repas
du matin est important car le prochain repas complet sera celui du soir. Tranquillement,
on se prépare : chargement du sac à dos, derniers réglages,
fixation des dossards, un vrai travail de professionnel ! Nous allons chercher
la bouteille d'eau, la prochaine sera donnée au check point N°1 de
l'étape au 11 ème km. Il est 8h30, la température atteint
déjà 23 °C. J'ai toujours mal au genou, je boite un peu pour
me rendre sur la ligne de départ ; on verra bien.
Patrick
Bauer fait un court débriefing de l'étape. A 9 heures précises
est donné le départ. Sous mes lunettes, je ne peux m'empêcher
de verser quelques larmes d'émotion : depuis plus de 10 ans que je parle
du marathon des sables, toutes ces séances d'entraînement, ça
fait drôle de réaliser un vieux rêve ! Je pense également
à mes potes de course à pied qui courent en ce moment le marathon
de Paris.
C'est
parti pour l'aventure ! J'ajuste mon sac à dos ainsi que la fixation de
la bouteille d'eau et en route pour 25 km ! Je pars à une allure prudente
car le poids du sac se fait ressentir. A l'entraînement, je suis monté
à 5.2 Kg uniquement et aujourd'hui j'en ai 9.5 sur le dos ! Après
quelques km, les coureurs s'étalent tout au long du parcours. Nous traversons
des zones sableuses, des oueds et des petites dunettes. Je bois régulièrement.
Quant à mon genou droit, pour le moment il ne me fait absolument pas mal
; il parait que le désert soigne tout, serait-ce vrai ? Je parcours toute
cette étape seul, parfois en compagnie d'un coureur pour discuter un peu
et se motiver mais je ne trouve personne à mon rythme. Le paysage est sublime,
j'essaie de l'observer au maximum car j'ai tendance, avec la difficulté,
à regarder mes pieds !
Je
passe les deux CP sans difficulté, en modérant mon effort ; il ne
s'agit pas de se griller dès la première étape ! Gardons
du jus pour la suite. Le parcours est sublime, en plein désert, c'est émouvant
de courir dans un endroit pareil ! La fixation de ma bouteille d'eau ainsi que
les guêtres sont impeccables : merci à Cathy pour sa couture. Je
discute lors des derniers Km avec un gars initié au MDS. Il raconte :
"-
C'est une course de gestion. Devant, y a des mecs qui vont exploser demain car
ils auront déjà trop donné sur cette étape. Prudence,
prudence, la course commence, encore 220 bornes. Pour le moment, tout va bien,
pas faim, pas soif, pas fatigué, pas malade, pas d'ampoules, pas de blessure
...Mais plus ça va aller et plus on va en chier, ça va être
très dur..."
Puis
au loin j'aperçois l'arrivée : et d'une ! Je regarde le chrono qui
indique 4h06. Ca en dit long sur la difficulté de l'épreuve et sur
les temps des prochaine étapes ! Je commence alors à entrer dans
l'esprit de la course. Il va falloir oublier tout chrono, aucune comparaison n'est
possible avec mes précédentes épreuves. Au classement général,
je pointe à la 434 ème place (sur 677 partants) ; c'est encourageant
étant donné que j'ai été très prudent.
Je
prends mes trois bouteilles d'eau et me dirige vers la tente 29. Les bretons sont
déjà là allongés sur leur duvet et en train de récupérer.
Je me prépare rapidement mon plat de hachis Parmentier puis le "déguste"
(!). Après c'est une petite sieste à l'ombre sous la tente berbère
; la température est de 42 °C à l'ombre. Pour le moment, je
n'ai aucune ampoule, mes pieds sont intacts, pourvu que ça dure !
J'envoie
un mail d'information à mes proches. Puis, vers 17 heures, un commissaire
de bivouac nous apporte les messages reçus par Internet. L'équipe
des télécommunications les reçoit par transmission satellite,
les imprime, puis les découpe un à un pour les distribuer aux concurrents.
Une vingtaine de messages me sont destinés. Grâce au talent de mon
collègue Christophe C., tous mes proches pourront m'envoyer et recevoir
des mails pour suivre l'aventure au jour le jour. Je suis agréablement
surpris par tous ces messages et m'empresse de les lire. C'est très émouvant
de recevoir en plein désert de si beaux messages d'encouragement. Je les
lis et les relis et décide de les garder dans mon sac à dos : ils
me porteront chance.
Le
bivouac est au pied des dunes de Merzouga, les plus hautes dunes du Sahara marocain.
Demain, nous les affronterons durant 14 Km ; elles sont très impressionnantes
mais tellement magnifiques... A la tente, nous prenons notre repas vers 18h30.
La nuit tombe déjà, il est temps de se coucher. La fatigue ressentie
est surtout morale, nerveuse ; c'est la décompression après toutes
ces angoisses. Maintenant, la course est lancée, mon genou est en parfait
état et le moral est bon. Rien ne m'empêchera d'aller jusqu'au bout
de la course, rien, à part la difficulté de l'épreuve. Oui,
la course s'annonce très, très difficile, tous les coureurs le savent...
Lundi 7 Avril : L'étapes
des grandes dunes
Réveil dès 5h30 après une très bonne nuit. Déjà
le bivouac s'agite. Le soleil perce les dunes et nous envoie ses premiers rayons
de chaleur. Je reste emmitouflé dans mon duvet pour admirer le ciel ; encore
une journée merveilleuse qui s'annonce. Mes copains de tente se réveillent
peu à peu ; grosses cernes sous les yeux, marques de soleil sur le visage,
la barbe.., de vraies têtes d'aventuriers ! L'équipe logistique démonte
les tentes berbères. Il ne faut pas traîner ! Nous préparons
notre petit déjeuner. Pour moi le menu est le suivant : spaghettis bolognaises,
semoule et compote de pomme. Les pastilles d'alcool parviennent à tiédir
l'eau que je verse sur ces plats liophilisés. Vers 7h30, l'organisation
distribue la bouteille d'eau du matin. Il me reste encore environ 1L de la veille
; je pourrai alors faire un brun de toilette, le luxe ! Puis, tranquillement les
concurrents préparent soigneusement leur sac.
Le
départ est donné est 9 heures précises et le cap est simple
: direction l'erg Chebbi, avec les dunes de Merzouga, les plus hautes dunes du
Maroc. Au cours de cette étape de 34 km, nous allons les traverser durant
14 km, ce n'est pas la peine de s'affoler au départ ! La forme est au rendez-vous,
le moral est bon, le paysage est sublime , tout va bien ! Nous profitons du terrain
dure pour courir à bonne allure avant de pénétrer au coeur
des grandes dunes où le sable nous arrive en bas des genoux. C'est impossible
de courir sur un tel terrain. Comme de nombreux concurrents, je commence l'ascension
de la première dune en marchant. J'en double même certains qui trottinent.
Je marche d'un très bon pas et cela me rappelle toutes les randonnées
en montagnes avec Ronan où il nous arrive de marcher plus de 10 heures
par jour en avalant des centaines de mètres de dénivelé.
Dans cette portion de dunes, seuls les squads ( pour les médecins) et l'hélicoptaire
( pour la presse et la sécurité de la course ) passent. Il est environ
10h30 et la température est déjà de 37°C. Le poids du
sac à dos, la chaleur, la fatigue de l'étape de la veille, du sable
jusqu'aux chevilles, des dunes à monter et à descendre, la hantise
des prochaines étapes....; ça y est, je suis dans le décor
tant attendu du Marathon des Sables et je n'arrive pas à y croire.
Je rejoinds le premier check-point au milieu des dunes. Les DOC et les contrôleurs
sont là et je me demande comment ils y sont parvenus. Enfin, ce n'est pas
le moment de se poser des questions, gardons notre énergie pour la suite,
les jambes vont en avoir besoin ! Je prends ma bouteille d'eau et continue mon
chemin vers le prochain check-point à environ 12 km. Le Cap à suivre
pointe directement vers le sommet d'une grande dune. Quel trajet choisir ? Les
crêtes des dunes, droit devant ou le trajet paraissant le plus roulant ?
Avec un groupe de coureurs, nous optons pour le chemin le plus roulant, même
s'il ne pointe pas directement vers le cap indiqué par le road book. Encore
et encore des dunes, je suis émerveillé c'est encore mieux que ce
que j'imaginais ! L'hélicoptère patrouille au dessus de nos têtes
pour surveiller les coureurs et pour filmer cette splendide étape. Je trottine
sur certains endroits mais cela reste quasiment impossible; avec tant de sable
sur les pieds je risque de me fatiguer pour rien et de me blesser (les tendons
sont extrêmement sollicités sur ce terrain vallonné et aussi
peu stable).
J'aperçois
le CP2, il n'est plus qu'à quelques kilomètres. Je distingue également
la dernière barrière de dunes à franchir. Derrière,
un immense plateau : un lac asséché. Il fait de plus en plus chaud
et ,dans le creux des dunes, la température est accablante. Les quelques
coureurs nus pieds (pour éviter le sable dans les chaussures !) sont obligés
de se rechausser car le sable leur brûle les pieds ! J'arrive tranquillement
au CP2 ; je prends la bouteille d'eau me fais poinçonner ma carte, enlève
le sable de mes chaussures (malgré les guêtres, il finit par rentrer)
puis c'est reparti.
Une
grande descente commence vers le plateau du lac asséché. Le sommet
de la dune était à environ 400 m d'altitude et le lac se trouve
à une centaine de mètres. Arrivé sur le plateau, je suis
surpris par en vent de face. " La galère dis-je, si la tempête
se lève, la navigation va être difficile, il vaut mieux que je me
rapproche d'un groupe, je ne tiens pas à me diriger seul dans ce désert
! ". Je regarde droit devant ; rien à l'horizon. Aucun coureur dans
mon champ de vue, je décide alors de ralentir fortement en espérant
me faire rattraper par des concurrents et m'intégrer à leur groupe.
Une demi heure plus tard, 5 coureurs me rejoignent : il était temps, je
commençais à m'inquiéter. Même si le balisage de la
course est très visible, en cas de tempête, la seule solution est
le repérage à la boussole (et je connais bien mes compétences
dans ce domaine, malheureusement !).
Me
voilà maintenant parmi les 5 autres concurrents, rassuré et à
l'abri du vent ! Un français, un japonais, des britanniques et un canadien.
Le chemin est caillouteux mais très plat ; sans vent, on aurait pu courir
à très bonne allure. Mais le vent est bien là et en pleine
face ! Rapidement nous nous lassons de ce plateau interminable car dans ce décor
gigantesque, nous n'avons pas l'impression d'avancer. Et c'est dans un grand silence,
bercé par ce vent que nous progressons ensemble. Pas besoin de se parler
pour s'encourager, des simples regards et des sourires de sympathie suffisent.
C'est dur, très dur et nous découvrons la réelle difficulté
de la course, les visages se crispent,
nous souffrons.
Une
accalmie de vent nous permet de nous ressourcer un peu. Je discute avec le canadien
qui me propose très gentiment sa crème solaire. Il a raison, le
soleil tape très fort et nous ne le sentons pas avec tout ce vent.
Le
CP3 nous encourage vers l'arrivée. Et dire que c'est seulement la deuxième
étape ! Terrible ! Je m'attarde un peu à ce CP pour discuter avec
les médecins. Je vais bien mais je doute fortement sur mes capacités
pour la suite. " Le bivouac vous attend dans 12 km et la vue est splendide,
à tout à l'heure ! ". Et c'est reparti. J'ai hâte d'arriver
au bivouac, pour retrouver les copains de tente (certains sont devant d'autres
sont derrière) et pour envoyer de mes nouvelles à tous ceux qui
me soutiennent.
Sur cette dernière portion de la journée, le
paysage est encore différent : légèrement montagneux à
droite et à gauche. Un peu plus d'une heure plus tard, je franchis la ligne
d'arrivée de cette étape de 34 km. Classement de l'étape
364 : classement général : 407. J'ai gagné des places au
classement général, je suis très content. J'ai encore beaucoup
de ressources mais pas question de les consommer avant la grande étape
des 82 Km. Restons prudents. Les premiers abandons rappellent que je ne suis pas
à l'abri d'une éventuelle blessure. Après cette étape
de dunes, les tendons d'Achille ont été extrêmement sollicités,
j'espère que demain tout sera rentré dans l'ordre.
Je
retrouve mes compagnons de la tente 29. en cours de rédaction
Mardi 8 Avril : Troisième
étape
Pour
cette journée, je propose de présenter l'extrait du road book concernant
l'étape. Je l'ai parcourue en partie avec les frères Zambeau (2
copains de tente). La principale difficulté était de récupérer
de la difficile étape des grandes dunes de la veille et de se préparer
à la grande étape non stop du lendemain ! Bref, j'ai profité
du paysage au maximum en essayant de ne penser qu'à l'instant présent.
Je suis arrivé avec Brahim, célèbre coureur du mds ayant
couru les 17 éditions précédentes.
Etape
3 : Erg Znaigui - Oued El Jdaid : 38 Km
Km
0 : Prendre direction SO. Lit de l'ouad Bega à main gauche
Km
2,5 : Dunettes éparses. Reliefs du jebel Ihmrane hills à main droite,
lit d'Oued à main gauche
Km
4,9 : 1ère passe. Longer les reliefs à main droite, dunettes à
main gauche
Km
5,8 : 2nde passe. Longer les reliefs à main droite, dunettes à main
gauche
Km
7,8 : Piton rocheux à main droite. Prendre direction SO (cap 232°)
pour traverser champs de dunettes éparses.
Km
9,5 : Traversée de piste
Km
10,5 : CP 1 à la sortie des dunettes sur le plateau caillouteux.
Prendre
direction O/SO (cap 245°) jusqu'au km 17.
Km
11,7 : Fin du plateau. Entrée de l'oued Ziz
Km
13,1 : Traversée de piste -pour indication Village de Taouz au loin, à
moins gauche)
Km
14,2 : Traversée de piste
Km
17 : Fin de traversée du Ziz à la pointe des reliefs. Longer l'oued
Ziz à main gauche. Reliefs à main droite.
Km
19,5 : Continuer de longer l'oued Ziz à main gauche en direction des tamaris
(cap général : 257°)
Km
22 : CP 2 près des premiers gros tamaris. Petits reliefs à main
droite. Prendre direction SO (cap 238°)
Km
25,5 : Culture avec clôtures à main droite
Km
28 : Lac asséché. Même cap.
Km
28,5 : Petite ascension de jebel
Km
28,8 : Fin de la descente
Km
29 : Piste au milieu des remblais de culture
Km
29,8 : Prendre ) droite pour suivre la piste au milieu des cultures.
Km
30,8 : Village de Jdaid. Viser dune dans le jebel, direction SO (cap 234°)
Km
33 : Sommet de la dune dans le jebel El Abhet.
Km
33,5 : CP 3 après la descente dans la vallée. Prendre direction
petit com (cap 324°)
Km
34 : Petite passe dans relief. Descente.
Km
34,5 : Entrée d'oued.
Km
35 : Sortie d'oued. Direction O/SO (cap 249°).
Km
38 : Bivouac n°4
Mercredi
9 Avril : L'épreuve dans l'épreuve
Après un belle nuit de sommeil profond et récupérateur, nous
nous réveillons vers 6 heures. Aujourd'hui, le programme est lourd : c'est
l'étape des 82 km, la grande étape, celle qui m'a tant empêché
de dormir la semaine suivant mon inscription...L'étape qui nous fait hésiter
à nous inscrire pour le Marathon des Sables ! Je n'ai jamais couru une
telle distance en une seule fois. Et en plus dans de telles conditions ; c'est
vraiment de la folie, deux marathons à la suite
Si j'avais pris réellement
connaissance de la difficulté de cette course, je crois que jamais je n'aurais
pris le départ. Enfin, maintenant, j'y suis et je m'y suis très
bien préparé ! Pas question d'abandonner; mon objectif est d'aller
au bout (au bout de mes possibilités et puis peut-être jusqu'au bout
de la course).
Je suis
très motivé ce matin, j'ai la rage de vaincre ! Tous les mails d'encouragement
que j'ai reçus m'interdisent d'abandonner et me donnent une énergie
considérable ; je suis transformé en une machine à avaler
les kilomètres en plein désert, pousser par de beaux messages d'encouragement.
Juste avant de me rendre sur la ligne de départ, le commissaire du bivouac
apporte encore des messages écrits à notre tente. La plupart me
sont destinés, je suis comblé. Je me sens infaillible, la forme
est au rendez-vous et le moral est en acier : je suis conscient que je vais peut-être
réaliser un exploit (car pour moi s'en est un ) et vraiment déterminé
à frôler et dépasser mes limites au cours de cette étape
d'ultra endurance.
Les
organisateurs nous annoncent qu'en raison des fortes chaleurs annoncées,
le départ sera avancé d'une demie-heure ; donc départ à
8h30 pour la plupart des concurrents et départ trois heures plus tard pour
les 50 premiers au classement général. Patrick Bauer nous présente
l'étape : 82 km avec 6 check-points répartis sur des terrains différents
(pistes, petites dunes, oueds, cailloux, terre
) Il nous met en garde sur
la course durant la nuit : nous devrons accrocher nos bâtons lumineux à
notre sac pour être repéré de loin par l'organisation et par
les médecins. D'autre part, il nous informe qu'un grand rayon LASER sera
allumé au check point numéro 6 ; il nous donnera alors la cap à
suivre pendant la nuit. Après cette étape est prévue une
journée de repos. Suivant le temps mis pour la parcourir, les concurrents
auront plus au moins de temps pour se refaire une santé le lendemain. Etant
donné ma grande forme et ma grande motivation, je prévois et j'espère
arriver au bivouac vers 1 heure du matin pour profiter pleinement de la journée
de repos
.mais on verra bien !
Le
départ est donné : en route pour 82 Km. Ma principale inquiétude
sur cette étape est de ne pas la faire seul, je sais que je risque de le
payer. Je me suis alors rapproché de Alain, coéquipier de Caroline
( je connais Caroline car nous avons fait quelques entraînement ensemble).
Alain a déjà fait deux marathons des sables et se classe parmi les
vétérans : j'ai donc très confiance en lui et souhaite parcourir
l'étape avec lui pour bénéficier de son expérience.
" Pas de problème, Raphaël, me dit-il, à plusieurs on
aura plus de chances d'arriver. Pas la peine de se presser comme des fous, on
a 82 bornes à faire. A cette allure (environ 11 km/h) et en tenant compte
des temps d'arrêt, on sera arrivé vers minuit, juste une question
de temps ! "
Le
peloton des 660 concurrents encore en course s'étalle déjà
sur des centaines de mètres, chacun a son allure, la principale motivation
pour une étape de cette longueur étant d'aller jusqu'au bout. Le
terrain est plutôt agréable, un sol argileux et relativement facile
.Un vent de face nous permet d'oublier la température déjà
élevée (32 °C). Après quelques kilomètres, des
petits groupes se forment. Je suis entouré de Linda, Alain, de l'équipe
"un OASIS pour la sqlérose en plaque" et de 5 autres coureurs.
Je suis en grande forme et j'éprouve un immence plaisir à courir,
c'est l'euphorie complète. Environ 50 minutes après le départ,
nous arrivons au CP1 placé au 10 eme km. Les controleurs poinconne les
cartes de route et nous remmettent chacun une bouteille d'eau. Les médecins
nous observent et s'assurent que tout est en ordre. Après quelques minutes
d'arrêt à l'ombre des tente berbères nous repartons en direction
du CP2.
Notre petit groupe
de 10 se reforme. Le vent s'est levé. Il est alors indispensable de s'abriter
les uns derrière les autres et de se relayer fréquement devant.
Des douleurs au ventre m'empèchent de profiter pleinement du paysage exeptionel
que nous traversons. Je suis obligé de m'arrêter pour un incident
"technique". J'ai la diahrée. Est-ce du à la fatigue,
au changement d'alimentation, à un coup de froid sur le ventre ? Lorsque
je repars, le groupe est déjà loin. Après 6 km d'effort en
solitaire, je le rejoinds. Nous apercevons alors le CP 2 qui nous annonce le km
21. Le rituel est le même qu'au CP1 ; poiconnage de la carte, distribution
de la bouteille d'eau, on remet un peu d'énergie dans ma machine en avalant
une barre de céréales et on répond "oui" avec le
sourire à la question des docteurs "Tout va bien, en forme ?".
Nous
prenons alors la direction du CP3. Le terrain change, la vallée caillouteuse
se termine pour laisser place à un terrain sablonneux avec de petites dunettes.Fatigué
par mes douleurs au ventre, je décide de ne pas mener et de rester sagement
à l'abrit de mes copains de course, ils l'acceptent volontiers.Trois kimomètres
plus loin, je suis à nouveau obbligé d'abandonner le groupe pour
un nouvel arrêt technique ; cela ne passe pas, si je continue ainsi, je
risque la déshydratation. Enfin, je ne me pose pas trop de question, je
dois rejoindre le groupe pour ne pas me retrouver seul sur cette longue étape.
Le scénario est le même que tout à l'heure, je remonte petit
à petit sur le groupe en me batant seul face à un vent de face.
Après un effortde 20 minutes, je retrouve le groupe. Je m'abrite alors
derrière 6 coureurs afin de mieux récupérer; c'est vrai qu'à
l'abri du vent on peine beaucoup moins. en cours de rédaction
Jeudi 10 Avril : Journée
de repos
Au réveil,
je m'empresse d'aller marcher un peu pour faire un diagnostic de la mécanique
! Je boite énormément, douleur à la cheville droite. Fatigué,
je me recouche. La nuit n'a pas été bonne. Ma grande fatigue physique,
mes courbatures et l'arrivée des coureurs tout au long de la nuit m'ont
empêché de dormir. Vers 8 heures, je mange mon petit déjeuner
habituel : pâtes bolognaises, semoule et compote de pommes. Plus ça
va et moins j'apprécie !
Je vais prendre des nouvelles des copains
des autres tentes. Je vais également discuter avec les "pros",
les frères Ahansal qui sont en tête du classement ; ils sont vraiment
sympathiques. Je ne peux cacher mon admiration pour eux : ils courent à
14 km/h de moyenne sur le marathon des sables, c'est impressionnant, des surhommes
! Puis je me rends à la tente médicale. Je me soigne mes ampoules
(4 par pied mais rien de grave et une tendinite à la cheville droite, ce
qui est déjà plus inquiétant). Je suis fatigué mais
je me rends à la tente des communications pour l'envoi de mon message Internet
journalier. J'ai hâte d'annoncer la réussite de cette longue étape,
celle qui me faisait si peur. Je crois que cette nouvelle fera très plaisir
à mes proches !
Après une petite sieste, le commissaire
du bivouac apporte les mails de notre tente. La majorité des mails sont
adressés au dossard 171 ! Je me sens un peu gêné par rapport
à mes copains de tente. Que de messages ! Même des personnes de Bouygues
Telecom qui ne me connaissent pas m'envoient des mails d'encouragement...Vraiment
je prends conscience que j'ai de nombreux supporters et c'est très touchant.
Tous ces messages me redonnent du tonus et de l'espoir pour la suite. Car, il
est vrai qu'avec ma tendinite, je suis très inquiet.
La journée
passe très vite, malgré l'inactivité. Je discute avec Alain
et Linda. On décide de faire route ensemble demain pour l'étape
marathon mais, avec ma tendinite, je ne leur promets rien. Après le "dîner",
vers 19h nous nous couchons. Demain, c'est un peu la dernière étape,
alors on se motive.
"-Les gars, encore 42 bornes demain et après
c'est de la rigolade, on tient le bon bout !"
Vendredi
11 Avril : La dure réalité de la course
Réveil habituel au bivouac. Ma douleur à la cheville droite a disparu
mais méfiance ! De toute façon, j'irai au bout de cette étape
marathon, avec la douleur s'il le faut. Les commissaires du bivouac nous annoncent
une journée encore plus chaude : ne pas oublier de s'hydrater régulièrement.
Vers 8h30, les concurrents se dirigent vers le départ de cette étape
marathon. Certains boitent fortement, en grimaçant, il va encore y avoir
des abandons. Je discute avec Alain ; il est en forme, il a "la pêche"
comme il dit avec sa joie de vivre. Je retrouve également Linda qui va
aussi très bien. Nous décidons de faire l'étape ensemble.
"-On verra, avec ma tendinite, je ne sais pas ce que je vais devenir.
- T'inquiète pas, bien chaud, ça ira, c'est ce soir que tu dégusteras
mais on s'en fiche après il ne restera que 22 bornes", réplique
Alain.
Le débriefing de Patrick Bauer insistera sur la forte chaleur
prévue. La journée de récupération m'a été
très bénéfique, je suis impressionné. Je me sens en
forme, quelques légères courbatures aux jambes, la cheville un peu
raide. A 9 heures, c'est parti pour cette étape Marathon, peut-être
ma dernière étape dans cette course, on verra en fonction de la
tendinite, il ne faudrait pas non plus que j'aggrave de trop la blessure. Cela
pourrait être compromettant pour les mois suivants.
Je me rapproche
de Linda et de Alain. L'allure est bonne, nous doublons un certain nombre de coureurs.
Pas de douleur à la cheville, libéré de l'étape des
82 Km, je crois que je vais me lâcher et continuer ma remontée au
classement général. Vers le cinquième Km, Alain accélère
; il a l'air en grande forme. Avec Linda, nous préférons garder
la même 'allure.
Les deux premiers CP (les check point sont espacés
tous les 10 -12 km) passent sans problème. Mes sensations sont indescriptibles
: je suis en pleine osmose, dans un état de bien être puissant. Tous
les coureurs de fond connaissent cet état : un état inexplicable
qui rend accro à la course à pied. Et ici, en plein désert,
au cours du marathon des sables, les sensations sont amplifiées ; c'est
extraordinaire !
Vers le 24 ème km, Linda a un moment de faiblesse.
Je la motive et ouvre la route. Puis c'est à mon tour de faiblir ; il fait
très chaud (48 °C). Il reste encore environ 4 Km avant le troisième
CP et nos bouteilles d'eau sont presque vide. D'autres concurrents souffrent de
la soif. En passant près d'un 4x4 de l'organisation, j'entends les commissaires
parler d'un manque d'eau sur cette étape, étant donné les
conditions climatiques : une bouteille supplémentaire au troisième
CP ne serait pas de trop. Seulement c'est maintenant trop tard car des coureurs
sont déjà passés et pour des raisons d'équituité,
l'organisation ne peut donner une bouteille d'eau en plus aux concurrents arrivants
actuellement au CP3. Malgré mon état qui ne s'améliore pas,
nous doublons une vingtaine de concurrents épuisés par la soif et
par la chaleur. Je n'arrive plus à suivre Linda, je suis cuit.
"-Linda, tu peux partir devant, je n'ai plus rien dans le ventre, j'ai du
attraper un coup de chaud, ça va pas du tout, je te ralentis beaucoup trop,
tu vas perdre des places au classement général.
- Non, je reste
avec toi , je t'emmène au CP3 puis après on verra."
Nous
arrivons finalement au CP3 : le site est magnifique, on en oublierait presque
la fatigue et les maux de tête. Il me faut alors tromper les DOC qui me
trouvent bien pâle ! Ils me proposent de me reposer à l'ombre sous
un tente médicale. "Non, c'est bon, tout va bien, juste un petit peu
fatigué, mais ça va ...", leur dis-je. Nous nous hydratons
et mangeons une petite barre énergétique puis repartons. Mais, je
me sens toujours aussi mal, c'est de plus en plus difficile.
"- On marche
un petit peu ? me demande Linda."
- Oui, on marche..."
Quelques
minutes plus tard, j'insiste pour que Linda me laisse. Elle finit par accepter
en me disant :"Ok, rendez-vous tout à l'heure au bivouac, t'inquiète
pas Raphaël il ne reste plus que 10 Km."
Je me retrouve alors
seul, face à ma fatigue. Je dépasse un 4x4 de l'organisation et
entends un commissaire de course parlant dans son talkie-walkie :
"-
Surveille le dossard 171, il ne va pas bien, il pourrait bien s'écrouler
dans 3 ou 4 Km ...".
C'est bien de moi qu'il parle ! Apparemment, je
vais mal ! Mais bonhomme, tu ne vas pas t'en tirer comme ça, je n'abandonnerai
pas ! Je m'arrête pour manger, pour boire et pour ajouter de la poudre énergétique
dans ma bouteille d'eau. En ouvrant mon sac, je tombe sur un message d'encouragement
imprimé. Je le lis. Il est court mais suffisamment long pour me redonner
courage. Toutes ces personnes qui me soutiennent et qui comptent sur moi pour
aller jusqu'au bout ! C'est maintenant qu'il faut se battre après ce sera
terminé. Je prends ma fusée de détresse dans la main, on
ne sait jamais. La tête veut encore avancer mais la machine semble tout
de même bien épuisée ! Grâce à mon manque de
lucidité, inconscient, je repars mais cette fois, en trottinant. Ca passe
ou ça casse ! Je dois me dépêcher d'arriver car il fait vraiment
chaud, beaucoup trop chaud. Je m'accroche et lutte pour maintenir mon allure.
J'arrive sur un grand plateau et aperçois l'arrivée de ce marathon
au loin. J'éclate en sanglots : la victoire est proche c'est incroyable.
Je prends alors en photo l'arrivée au loin (voir la photo dans la rubrique
images de la course). Mais combien reste-il ? Deux, trois, quatre, cinq Km ? Je
suis incapable d'estimer la distance et incapable de faire le moindre calcul par
rapport à ma vitesse moyenne de course.
Je fonce, tête baissée
en essayant de m'accrocher aux coureurs qui me dépassent. Une heure plus
tard, je passe l'arrivée et m'écroule "Ca y est, c'est fini,
le marathon est fini, j'adore cette distance, je suis vidé et il va me
falloir du temps pour récupérer d'un tel effort.
Je prends
mes 3 bouteilles d'eau et me dirige vers la tente pour déposer mon sac.
La chaleur est accablante. Tous mes copains de tente sont arrivés exceptés
les frères Zambeau qui doivent encore souffrir sur le parcours. On se raconte
notre course et on se félicite ; une belle ambiance dans cette tente, avec
des mecs bien. Je me dirige ensuite vers la tente des télécommunications
pour envoyer mon dernier mail ; aux yeux de tous, la course est terminée
car il ne reste qu'une petite étape de 22 Km, on commence à ressentir
la victoire.
Je me rends ensuite à la tente médicale pour
me soigner les ampoules. J'ai 4 ampoules par pied mais rien de grave, il faudrait
juste qu'elles ne s'infectent pas. En voulant me relever, après avoir effectué
mes soins aux pieds, je suis pris d'un malaise. Les médecins me conduisent
alors à la "clinique" (tentes situées dans le bivouac
des organisateurs, hors bivouac concurrents). C'est Chantal, Doc Trotter qui s'occupe
de moi. D'après les symptômes, je suis en déshydratation.
Elle envoie donc un commissaire de bivouac à ma tente pour me rapporter
mes bouteilles d'eau (car il est interdit de donner de l'eau supplémentaire
aux concurrents en course). Je prends un certain nombre de médicaments
et me force à boire. Chantal me met en garde : si cela ne va pas mieux,
ce sera la perfusion.
Après une bonne heure à la clinique,
je rentre à la tente mais je suis très affaibli. Je me couche, puis
prends le repas avec mes copains de tente qui me trouvent franchement très
pâle et bien blanc ! Je me force à manger mes pâtes et mon
riz au lait ainsi qu'une barre énergétique. Vers 19 heures, nous
nous couchons. Difficile de trouver le sommeil, je me sens très mal. Vers
22 heures, je vomis tout mon repas ainsi que toute l'eau bue depuis le retour
de la course. Cette fois c'est sûr, je suis bien déshydraté.
Je me dirige alors vers la clinique.
Les DOC Trotter sont en plein débriefing
journalier mais Chantal s'empresse de me placer sur un lit de camp. Un autre docteur,
Pascal m'ausculte :
"- Tu es toujours en course ? Tu souffres d'une déshydratation
due à un manque de sel qui empêche l'eau de se stocker dans tes cellules
sanguines. Les seules organes fonctionnant encore normalement sont ton coeur et
ton cerveau. Tous les autres sont partiellement arrêtés, c'est pour
cela que tu ne peux plus rien digérer, ni les aliments, ni même l'eau.
La seule solution est de te perfuser avec une solution de sérum physiologique.
Tu vas vite retrouver la forme mais tu auras une heure de pénalité,
c'est le règlement...
- Ok pour la perfusion, dis-je. Et pas de problème
pour l'heure de pénalité, je ne fais pas partie des favoris et mon
objectif est de terminer ce Marathon des Sables, il faut que je sois d'aplomb
demain pour la dernière étape." Je suis drôlement remonté
au classement général (348 eme place), mais peu importe, peut-être
ai-je trop forcé lors des deux étapes précédentes,
maintenant je le paye, cela fait partie aussi de la course. Les DOC préparent
alors les poches pour la perfusion, je tremble de froid, sans doute un peu fiévreux.
Mon moral n'est pas très bon, je m'inquiète énormément
pour l'étape de demain. Et dire que j'ai envoyé un mail à
mes proches disant que tout allait bien ! Il ne reste plus que 22 km demain et
tous sont persuadés que la course est quasiment terminée. Si je
ne franchis pas la ligne d'arrivée, ce sera une énorme surprise
et une grande déception pour tous. Et oui, l'aventure n'est pas terminée,
avec moi c'est souvent comme ça, je dois me battre jusqu'au bout, rien
n'est jamais gagné d'avance, je le sais. A moitié conscient, je
me laisse aller durant la réhydratation artificielle.
Il est une heure du matin. J'ai reçu 2 litres de sérum physiologique
par perfusion. Je suis encore déshydraté, je tremble de froid sous
ma couverture de survie. Les médecins décident de me donner encore
un litre et demi. Je trouve le temps long et j'ai énormément sommeil,
mais pas moyen de dormir sur ce lit de camp. Je m'assoupis malgré mon anxiété
concernant le départ de la dernière étape : ça va
être difficile, pourtant il n'y a que 22 bornes. Après 3 litres de
perfusion, enfin une envie d'uriner se manifeste ; mon corps est alors réhydraté.
Les médecins me préparent le dernier demi litre. Ils me proposent
de terminer la nuit ici, à la tente médicale. Pas question de passer
la nuit ici : je veux rejoindre ma tente pour retrouver l'ambiance de la course.
Pascal me raccompagne donc à la tente 29. Il est deux heures trente,
mes copains dorment d'un sommeil de plomb. "Bonne nuit, et t'inquiète
pas pour demain, tu seras d'aplomb pour l'étape", me chuchote Pascal.
"Merci beaucoup, Pascal", dis-je en lui serrant fortement la main. Puis
je me glisse dans mon duvet : je reviens de loin ! C'est la dernière nuit
au bivouac, sur ce sol dur, demain, c'est une nuit dans un lit, sur un matelas
et peut-être avec la médaille du Marathon des Sables posée
sur ma table de nuit...
Samedi
12 Avril : Le final vers la victoire
Nous nous levons un peu plus tard que d'habitude car aujourd'hui il n'y a pas
de bivouac à réinstaller pour la nuit prochaine. Mes copains de
tente me demandent alors des nouvelles. "On s'est fait du souci pour toi,
comment ça va à présent ?" Je leur raconte mon court
séjour nocturne à la clinique. Ils me rassurent :"T'inquiète
pas pour la perfusion et puis l'heure de pénalité, on s'en fiche,
le principal s'est de terminer cette course et puis même avec une heure
de pénalité, tu resteras bien classé !" J'essaie péniblement
de terminer mes pâtes bolognaises. Quant au riz au lait, impossible de l'avaler
: je suis totalement écoeuré par les aliments sucrés. Malheureusement,
je n'ai plus rien de salé dans mon sac, j'avais prévu le nombre
exact de repas. Ce n'est pas la forme, je suis lessivé ! Heureusement le
sac à dos est léger (3,5 Kg) ; il ne reste plus que le matériel.
Vers 9 heures, le départ est donné : mon dernier départ
sur le marathon des sables, la dernière étape. Dans 10 Km, arrivera
le point de contrôle et après ce sera l'arrivée .... l'arrivée
de l'étape et l'arrivée de la course. Je me sens faible, heureusement
qu'il n'y a que 22 bornes. Depuis hier midi, je n'ai avalé qu'une portion
de pâtes. Je laisse partir Alain et Linda : aujourd'hui, ils vont tourner
très vite, comme la majorité des coureurs (ceux qui le peuvent encore).
Moi aussi j'aurais bien terminé l'épreuve "à fond"
! Au point de contrôle, je m'arrête quelques minutes pour boire correctement
à l'ombre : je sais que je suis très fragile. Il ne faudrait pas
tomber raid sur le parcours, ce serait la disqualification. Chantal (ma Doc Trotter
favorite qui m'a remis sur pieds hier) se rapproche de moi.
"- Alors
Raphaël, comment te sens-tu ? N'oublie pas de prendre du sel. Tu vas aller
jusqu'au bout, n'est-ce pas ?
-
C'est dur, très dur mais il reste 12 bornes, c'est rien et puis il faut
que j'aille au bout, il le faut..."
Je prends deux comprimés
de sel, place ma bouteille pleine dans son logement, à ma ceinture et repars.
Après 2 km, je m'arrête pour ajouter du produit énergétique
sucré dans ma bouteille d'eau; je vais peut-être tout vomir mais
j'ai besoin d'énergie, je n'avance plus. Olivier et Stéphane me
rattrapent en s'exclamant " Et Bouygues Telecom, tu ne vas pas te faire doubler
par un mec de chez Neurones !" J'essaie de les accrocher pendant 5 minutes,
je leur passe même devant mais c'est beaucoup trop dur, je puise dans mes
réserves, je souffre énormément, je n'ai plus rien dans le
ventre. Un km plus tard, ils me doublent et disparaissent au loin à travers
l'oasis. Je rattrape l'autre équipe de "OASIS pour sclérose
en plaques". "Je suis cuit, j'ai plus de jus, plus de jambe",leur
dis-je. Ils m'offrent alors leur dernier nougat qui me relance pendant un quart
d'heure. Je m'accroche à eux. Le village se rapproche, il est vraiment
temps d'arriver, je n'en peux plus... Quelques enfants au bord du chemin nous
encouragent : "Bonjour Monsieur, dans 2 km c'est l'arrivée, t'as pas
des bonbons, des stylos ?" Je donne mes deux dernières barres énergétiques
à une petite fille en échange d'un sourire. Les premières
habitations apparaissent. J'enlève mes lunettes de soleil (on me reconnaîtra
mieux sur les photos de l'arrivée !) .Je rattrape un concurrent boitant
et souffrant d'une tendinite. "Accroche toi, on finit à fond, lui
dis-je".
Les enfants de long du chemin nous acclament et nous courent
après, nus pieds sur les cailloux. Je songe à la ligne d'arrivée
et à la victoire. Je verse quelques larmes, c'est incroyable, je vais sûrement
franchir la ligne d'arrivée du Marathon des Sables, l'épreuve de
course à pied jugée la plus difficile au monde. Et toujours ses
enfants pauvres qui nous réclament des bonbons, des stylos, des chocolats,
de l'eau ; c'est très émouvant. Je remets mes lunettes pour cacher
mes larmes. Je crois que ce sont des larmes de bonheur, ou des larmes de fatigue
et d'épuisement, je ne sais pas trop. Nous nous retrouvons sur une route
goudronnée : là, il ne reste plus que 2 Km, je l'avais repéré
sur le road book. Les maisons sont de plus en plus nombreuses, la population se
densifie. Le coureur à la tendinite me laisse partir, il souffre trop.
J'accélère l'allure, content de retrouver le bon vieux bitume sur
lequel j'ai fait presque tout mes entraînements. Les villageois m'acclament,
c'est fou. J'augmente à nouveau l'allure, conscient de courir mes derniers
km sur le marathon des sables. Mais où vais-je trouver toute cette énergie
? Au loin j'aperçois la banderole de l'arrivée. Depuis un an que
je l'imagine, cette ligne d'arrivée ! C'est magnifique, je pense aux 243
km parcourus au coeur de désert et aux proches qui m'ont soutenu dans les
moments difficiles durant mes mois d'entraînement.
Je fonce vers
l'arrivée et franchis la ligne les bras levés vers le ciel, la tête
baissée par l'épuisement. Patrick Bauer me remet la médaille
autour du coup en me félicitant.
"- Bravo, bravo félicitations,
comment ça va ?
- Je suis KO, mais heureux, et dire que j'ai failli
ne pas prendre le départ ce matin, merci beaucoup pour toute cette course,
merci à l'équipe médicale, merci à ma bonne étoile.
C'est magnifique !"
Mes copains de tente de l'équipe "OASIS
pour la sclérose en plaque" ainsi que Fred me félicitent ;
eux aussi ont l'air très heureux. Je retrouve Alain et Linda pour une petite
photo devant l'arrivée. "Alors c'est fini, tu as fait le Marathon
des Sables", me dit Alain. J'embrasse Linda en la remerciant pour son soutien
lors des étapes de 82 et 42 km. "Bravo, c'est super Raphaël,
tu verras, tu réaliseras plus tard ce qu tu viens d'accomplir...."
Oui la course est bien terminée. Déjà je songe à
tous ces moments de bonheur alors que toutes les souffrances et les galères
s'oublient peu à peu. Je crois que jamais, je ne réaliserai ce que
je viens de faire : le Marathon des Sables.
Le moment le plus difficile
Grande étape des 82 km,
il est 15 heures, nous traversons un plateau interminable. J'ai pris un coup de
chaud : j'ai mal à la tête, mal au ventre, plus de jambe, le moral
à zéro et il reste encore plus de 40 Km. J'ai pensé à
l'abandon, j'avais trop peur de faire un malaise en dehors du champ de vision
des médecins. Je me voyais alors rentrer à Paris, triste en ayant
raté mon objectif. Alain et Linda ont remarqué ma défaillance
: ils ont ralenti l'allure, sans rien dire et moi, je me suis battu pour rester
avec eux, sans rien dire. Vers 17h, la température avait déjà
fortement chuté, je retrouvais de l'énergie...
Le moment le plus émouvant
Au début
de la troisième étape j'ai fait route avec deux japonais ; deux
frères, l'un est aveugle. Je suis resté derrière eux en les
entendant parler. Celui qui guidait son frère aveugle lui décrivait
le paysage. Il faut savoir que la course est très dure, il faut se motiver
sans cesse pour ne pas abandonner et la beauté des paysages nous incite
à aller toujours plus loin et à poursuivre, parfois dans la douleur.
Et ce coureur aveugle, comment fait-il ? Et moi qui me plaignais de mes courbatures
et d'une éventuelle tendinite...J'ai ressenti énormément
d'émotion en les observant. J'aurais bien discuté avec eux, pour
les féliciter ou plutôt pour rigoler un peu avec eux. Lors d'un passage
sur un terrain accidenté, ils ont ralenti l'allure. Je les ai alors dépassés
en cachant mes larmes sous mes lunettes et je n'ai pas su quoi leur dire. Bravo
à eux deux et quel courage !
Le
mail le plus encourageant
J'ai
reçu environ 140 messages de 75 personnes différentes. De l'amitié,
de l'admiration, des encouragements, de l'amour, de la sympathie...Merci à
vous tous qui m'avez écrit, vous avez participé à la réalisation
de l'un des mes vieux rêves. Je suis très touché.
Le moment le plus beau
Dans
les grandes dunes de Merzouga (les plus hautes dunes du Maroc, 300 m de haut)
lors de la seconde étape. Devant cette étendue infinie de sable,
j'ai oublié que j'avais du sable jusqu'aux chevilles, 9 kg sur le dos et
que la température était accablante. Un paysage magnifique. L'effort
physique dans un tel cadre, c'est vraiment hors du commun et j'adore ça
!